lundi 20 février 2017

Yma Sumac, la diva mutante


Comme d’habitude, votre cher Docteur ne peut s’empêcher d’aborder chaque thématique mensuelle d’une manière détournée. Le fan de cartoons a depuis belle lurette contaminé sa vision des choses, le poussant toujours à chercher du côté de l’interprétation grossie à la loupe et du schéma ludique qui saisit l’essence des choses par quelques traits bien tracés.

Aussi, lorsque le mot « folklo » a résonné dans son esprit, la réponse immédiate fut « exotica », ce genre musical né dans les années 50 où les États-Unis puisent dans les sonorités caribéennes, polynésiennes, hindoues, japonaises et j’en passe pour en tirer des pastiches rêveurs, véritables cartes postales musicales qui fascinent autant qu’elles agacent. Si cette appropriation culturelle à la sauce américaine – en marche depuis Nanouk l’Esquimau (1922) de Robert Flaherty – peut laisser craindre une vision cliché (voire raciste) des cultures dites « exotiques », ce point de vue est néanmoins réducteur dans le sens où certains représentants du courant exotica ont véritablement contribué à la reconnaissance de ces mêmes cultures. Citons parmi les ténors du genre Martin Denny, Les Baxter, Arthur Lyman ou encore le pionnier de la stéréo Esquivel. Et c’est dans ce sillage que l’Occident va découvrir une voix unique : celle de la chanteuse péruvienne Yma Sumac.

De son vrai nom Zoila Augusta Emperatriz Chávarri del Castillo, Yma Sumac (pseudonyme signifiant « jolie fleur » ou « jolie fille » en quechua) incarne à elle seule la notion de folklorique. Pensez donc, une descendante de l’empereur inca Atahualpa ayant appris le chant avec les oiseaux comme seuls professeurs au point de développer une voix sur près de cinq octaves… tout de suite, ça vous pose une artiste !


La jeune femme commence sa carrière au début des années 40 au sein du trio Inca Taky qu’elle forme avec le musicien Moises Vivanco (qui deviendra son mari) et Cholita Rivero, la cousine de ce dernier. Durant cette décennie, le succès aux États-Unis arrive doucement mais sûrement, entre les prestations en clubs, à la radio et à la télévision jusqu’au jour où Capitol Records décide de la signer. Les compositions de Vivanco sont réadaptées en versions orchestrales sous la direction de Les Baxter et c’est ainsi que sort en 1950 Voice of the Xtabay, le premier album studio d’Yma Sumac qui devient rapidement un succès. Le public est subjugué par cette femme toujours bardée de bijoux et de tenues flamboyantes sur scène et par cette voix mutante qui passe sans crier gare de l’aigüe au grave tout en distillant des sons insaisissables.


À partir de là, la machine s’emballe : Yma Sumac devient actrice pour Broadway et le cinéma, enchaîne les tournées et les disques pour Capitol avec Legend of the Sun Virgin (1952), Inca Taqui (1953) ou Mambo ! (1954) qui poussent toujours un peu plus loin l’excentricité de l’univers musical du couple.



Durant la période de divorce puis remariage avec Vivanco, trois autres albums paraîtront chez Capitol : un Legend of the Jivaro particulièrement shamanique en 1957, suivi la même année de l’édition disque de Flahooley, le spectacle de Broadway dans lequel elle avait joué, et enfin de Fuego Del Ande en 1959. S’ensuit une tournée à travers l’Europe, notamment en URSS où la cantatrice fera un triomphe. En Roumanie, elle enregistre son premier album live appelé Recital (1961). L’artiste poursuit son tour du monde tandis qu’aux États-Unis, la vague de l’exotica s’essouffle peu à peu. Yma Sumac se fait plus discrète et divorce définitivement de Vivanco. Ayant le mal du pays, elle décide de rentrer au Pérou à la fin des années 60 dans une semi-retraite.

Contre toute attente, elle sort de son silence en 1971 pour enregistrer avec son ancien comparse Les Baxter un album… de rock psychédélique ! Le résultat, Miracles, détonne dans la discographie du rossignol péruvien : adoré par les uns, détesté par les autres, l’album propose d’exploiter différemment la voix de la chanteuse, déployée par des effets d’échos pour lui donner une nouvelle dimension, plus raccord avec les arrangements rock. Ce dernier disque sera toutefois un échec, la faute revenant à Baxter qui tenait à s’approprier la quasi-totalité de la part artistique de l’album (ce qui d’ailleurs était déjà le cas avec Voice of the Xtabay). La situation dégénérera en conflit avec les producteurs et débouchera sur un rapide retrait des rayonnages pour Miracles. Quant à l’artiste, elle évoquera ce disque comme une mauvaise expérience.


En 1988, le label A&M publie une étrange compilation de réinterprétations de chansons Disney appelée Stay Awake ; Yma Sumac est de la partie avec le morceau I Wonder, tiré de La Belle au Bois Dormant… aux côtés de Tom Waits reprenant Heigh Ho de Blanche-Neige et les Sept Nains ou encore de Sun Ra avec Pink Elephants on Parade de Dumbo. Avis aux amateurs de curiosité !


Enfin, la chanteuse ressort de l’ombre, la nouvelle génération redécouvre l’easy-listening (qui va devenir par la suite la musique lounge), les rockers la reconnaissent comme l’une des leurs. Des artistes comme Diamanda Galás, Meredith Monk ou Klaus Nomi lui doivent tout. Les concerts se poursuivent tranquillement entre l’Allemagne (avec la sortie d’un single électro, Mambo ConFusion), la France lors du Printemps de Bourges de 1992, les États-Unis et le Canada… la diva continue d’envoûter des salles entières avant de prendre sa retraite en 1997 et de s’éteindre le 1er novembre 2008.

Et voilà comment une chanteuse perçue comme « exotique » a failli être façonnée en icône kitsch sans jamais perdre de sa singularité pour finalement ouvrir les oreilles du grand public à la culture péruvienne. À la fois ancrée dans le passé et située hors du temps.